Il est vraiment très curieux que nos têtes contiennent toutes de la musique à des degrés divers. Quand les Suzerains d’Arthur C. Clarke atterrissent sur notre planète, l’énergie avec laquelle notre espèce s’applique à produire et à écouter de la musique ne manque pas de les surprendre ; ils auraient été encore plus stupéfiés d’apprendre que, même en l’absence de sources de stimulation externes, nous entendons pour la plupart une musique intérieure incessante. (Oliver Sacks, Musicophilia)

Que nous le voulions ou non, nous sommes tous des personnages de science-fiction vivant dans une époque de science-fiction. (Ray Bradbury)

Bach ne module jamais au sens conventionnel, et laisse l’extraordinaire impression d’un Univers en expansion infinie. (Glenn Gould)

Avant d’envisager les copulations naturelles et contre nature de la musique et de la science-fiction, il convient de définir cette dernière qui est souvent pour les uns ce qu’elle n’est pas pour les autres sans que l’inverse soit pour autant vérifié.

 

Dans les années 50, Jacques Sternberg avait titré un de ses ouvrages : Une succursale du fantastique nommée science-fiction. Un peu réducteur peut-être. D’autant que le fantastique est une conjecture romanesque non rationnelle, ce qui le situe d’emblée dans une autre niche conceptuelle que la science-fiction qui se veut quand à elle « plutôt » rationnelle. Pierre Versins, l’auteur d’une Encyclopédie devenue mythique publiée au début des années 70, pense quant à lui que la science-fiction est un univers plus grand que l’univers connu. Un peu excessif, par contre. Pierre Versins a dû s’en rendre compte, car il précisera plus tard : la science-fiction n’est pas un « genre littéraire », mais un état d’esprit (…) qui se révèle à travers tous les genres, du poème au cinéma, et sous toutes les formes de l’image au discours.

Voilà qui commence à être beaucoup plus intéressant, et Norman Spinrad, auteur des livres cultes Jack Baron et l’Éternité et Rêve de fer enfonce le clou : on peut seulement définir la science-fiction par la perception qu’on en a. La science-fiction est donc ce qui est perçu comme tel. Il ne fait ainsi aucun doute que L’Arc-en-ciel de la gravité (Thomas Pynchon), La maison des feuilles (Marc Danielewski), Glamorama (Bret Easton Ellis) ou Mantra (Rodrigo Fresàn), bien que ne l’étant pas de façon affichée, peuvent être perçus comme des romans de science-fiction, tout comme Donnie Darko (Richard Kelly), Element of Crime (Lars Von Trier) ou Mulholland Drive (David Lynch) peuvent être perçus comme des films du même genre.

Et du côté de la musique ?

Nous pouvons tout d’abord constater qu’elle a souvent puisé dans le registre science-fictionnel, et ce depuis le XVIIIème siècle au moins. Une des premières œuvres musicales assimilables à la SF est probablement l’opéra de Joseph Haydn, Il mondo della luna (1777), sur un livret de Goldoni, dans lequel un truand se fait passer pour un habitant de la Lune auprès d’un astronome un peu trop crédule. Plus tard, Leos Janacek s’intéresse lui aussi à notre satellite avec Les Aventures de monsieur Broucek (1917), qui visite d’abord la lune puis voyage dans le temps en se rendant au XVème siècle. L’opéra de science-fiction a tenté depuis de nombreux compositeurs néo-classiques ou post-modernes, comme Lorin Maazel (1984, d’après George Orwell), Philip Glass (The Making of the Representative for Planet 8, d’après Doris Lessing) ou Howard Shore (The Fly, d’après Georges Langelaan avec David Cronenberg à la mise en scène).

Le monde du jazz et surtout celui du rock, qui font partie de la même communauté culturelle, ou plutôt contre-culturelle, que Boris Vian, Philip K. Dick, Robert Silverberg, Philip José Farmer, Michael Moorcock ou James Ballard, ont établi plus naturellement de nombreuses passerelles avec la SF. Pour ne citer que les plus assidus : David Bowie avec une quantité imposante de titres comme Space Oddity (1969) inspiré de 2001, a Space Odyssey d’Arthur C. Clarke, ou carrément de concept-album : The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders of Mars, qui narre les frasques d’une rock star extraterrestre et Diamond Dogs, une dystopie dans l’esprit de 1984.

On pourrait bien sûr recenser des dizaines de groupes, mais il faudrait pour cela consacrer un article exclusivement à ce sujet (1). Citons tout de même le groupe britannique Hawkwind qui a placé la quasi-totalité de leurs albums sous le signe de la SF, avec entre autres Warrior on the edge of time basé sur le Cycle du héros éternel de Michael Moorcock (ce dernier ayant écrit les paroles de trois chansons de l’album), et le groupe français Magma dont l’ensemble de la production s’articule autour des relations/conflits entre les terriens et la planète Kobaïa, les textes des chansons étant rédigés en kobaïen, langue inventée pour l’occasion.

Mais c’est du côté de la musique psychédélique que la composante SF est la plus prégnante dans l’optique évoquée par Norman Spinrad. Avec en première ligne le vaisseau spatial des Pink Floyd piloté par Syd Barrett qui délivre des titres crépitants d’étoiles et fleurants bon l’acide et la marijuana comme Astronomy Domine, Interstellar Overdrive, ou Set the Control for the Heart of the Sun, et toute la constellation « Krautrock » (rock allemand des années 60/70) avec les représentants emblématiques du courant « cosmiche musik » : Tangerine Dream (Alpha Centauri, Phaedra, Rubycon, Stratosfear), ou Klaus Schulze (Cyborg, Timewind, Moondawn, Dune) aux titres d’albums évocateurs d’immensités intersidérales sillonnées par des cargos interstellaires, et de planètes plus ou moins exotiques qu’un Gustave Holst a déjà célébré en son temps. Mais là où la musique du compositeur anglais ne fonctionne à plein rendement sur le plan de l’illustration sonore qu’une fois la thématique énoncée, il suffit de quelques notes aux cosmiche rockers allemands pour nous propulser dans l’espace.

Comment cet exploit est-il possible sans l’utilisation de mots ou d’images pour canaliser l’imagination de l’auditeur ? Avec David Bowie, ou Hawkwind la problématique SF est également engendrée par les textes et l’iconographie des pochettes de disque. Privée d’un référent textuel ou visuel, leur musique est incapable d’orienter à coup sûr l’imagination de l’auditeur vers des univers science-fictionnels. D’où la question :

Existe-t-il une musique de SF ?

En se référant à la définition de Norman Spinrad, on peut répondre, me semble-t-il, par l’affirmative : Phaedra, Rubycon, Moondawn, Dune, et la quasi-totalité des albums psychédéliques allemands « sonnent » SF et peuvent donc être considérés comme des musiques SF. Ce qui induit une autre question à laquelle il est beaucoup plus difficile de répondre :
Pourquoi — ou plutôt comment — certaines musiques sonnent SF ?

Les archétypes de la SF, comme les machines à remonter le temps, les transmetteurs de matière ou les machines spatiales bourrées d’électronique y sont sûrement pour quelque chose. En effet, les séquenceurs, les boîtes à rythmes, les échantillonneurs, et bien sûr les ordinateurs parés de logiciels musicaux ne sont plus des instruments, mais, eux aussi, des « machines », génératrices de son : elles n’étaient encore que pure « anticipation » dans la première moitié du XXème siècle, si l’on excepte les premières créations d’ingénieurs fous en la matière : telharmonium (1900) ou ætherophone (1919), plus connu sous le nom de thérémine, qui fleurent bon le steampunk.

Ces premiers instruments électroniques sont d’ailleurs souvent utilisés avant l’arrivée des synthétiseurs pour ajouter un caractère « d’étrangeté » aux bandes originales de films fantastiques ou de science-fiction. Il en va de même pour les Ondes Martenot (1928), ancêtre oh combien génial du synthétiseur, et steampunk à souhait, avec son clavier en bois et son électronique embarquée. Le groupe allemand Kraftwerk (qui utilise d’ailleurs l’Ondéa, version actualisée des Ondes Martenot) est celui qui a joué avec le plus de clairvoyance et d’efficacité de ces archétypes, surtout lors de ses prestations scéniques : musique électronique + textes minimalistes constitués de mots clefs agencés tels des brins d’ADN + mise en scène « hard science » avec des robots qui interprètent certains titres à leur place + projection de films sur des sujets clefs de la science et de la technologie… Ils sont ainsi indéniablement les précurseurs de l’esprit cyberpunk (2). Là où leurs collègues de la cosmiche music lorgnaient du côté du space opera, fut-il sophistiqué comme celui de Dune (inspiré du roman de Franck Herbert), ils établissent un pont entre William Burroughs (Festin nu, Nova Express) et James Ballard (Atrocity Exhibition, Crash) d’une part et William Gibson (Johnny Mnemonic, Neuromancien) et Bruce Sterling (Mozart en verres miroir, La Schismatrice), les papes du cyberpunk, d’autre part.

Mais les sons synthétiques ne déclenchent pas à eux seuls un cinéma mental aux couleurs du space opera ni même du cyberpunk. La « composition », le talent créatif du musicien, reste toujours — heureusement — une composante incontournable. Pour s’en convaincre, retournons un instant dans le passé (le voyage dans le temps est quand même une belle invention) :

Dans sa Dernière conversation avant les étoiles, (1982) Philip K. Dick nous parle d’un projet de nouveau roman The Owl in daylight dont une des composantes principales est la musique et nous rapporte que Pythagore a conclu que le fondement de l’univers était la combinaison de la mathématique et de la musique, parce que ce sont deux aspects de la même chose. Tel a été son enseignement — c’est de là que vient l’expression “musique des sphères”. Il a dit ensuite que les corps en mouvements émettaient de la musique, mais qu’on ne l’entendait pas parce qu’on baignait dedans depuis la naissance, donc qu’on n’en avait plus conscience. Pourtant, nous percevons une musique ininterrompue.

Cette musique que nous ne percevons pas, mais qui existe quelque part dans l’univers mathématique du monde, ne l’entendons-nous pas d’une certaine manière dans la B.O. d’Eraserhead « interprétée » par David Lynch & Alan Splet ? Cette réinvention d’une musique de la matière, du temps et de l’espace me paraît être, selon la définition de Norman Spinrad, incontestablement une musique de science-fiction, tout comme les images qui vont avec.

Nous pouvons également avoir une idée de cette intention explicitement science-fictionnelle en présence d’un choc créatif : lorsque Jean-Philippe Rameau parvient à traduire musicalement dans l’ouverture de Zaïs l’établissement d’un ordre progressif de la matière, véritable interprétation harmonique, avec deux siècles d’avance, de l’évolution (ou nucléosynthèse) de la matière intersidérale (3). ou bien avec Les Éléments de Jean-Féry Rebel (1721) qui choisit ses accords et leur agencement de façon à ce qu’ils expriment le chaos par eux-mêmes, sans recours à la voix ou à un décor. Le résultat, surprenant de modernité, aurait pu être signé Art Zoyd et, quelle que soit la perspective, d’un côté ou de l’autre du temps, des auditeurs de l’époque à ceux d’aujourd’hui, le choc créatif engendre un décrochement du réel et propulse l’œuvre dans la SF.

Ce “décrochement” s’est aujourd’hui “banalisé”. Nous vivons dans une bulle de présent expansée, boursouflée, qui lance des tentacules dans tous les sens du temps. Duplication accélérée, clonage, machines autosuffisantes. La technologie prend de plus en plus le pas sur la recherche fondamentale. La musique électronique, devenue numérique mène sa propre vie. Se régénère, se métamorphose, s’échantillonne se duplique, vit, meurt et renaît de ses samples. Compression-expansion. Toute l’histoire de la musique dans un loop d’une nanoseconde. Les nombres sont les nombres.

La première fois que Philip K. Dick a pris du LSD, il écoutait un quatuor de Beethoven et il l’a vu sous forme de cactus. À chaque progression, de mesure en mesure, le cactus gagnait en complexité ; c’était un processus d’accrétion, et non plus une succession. Il devenait de plus en plus gros, de plus en plus complexe. Par un processus synesthésique, Dick a vu le quatuor de Beethoven sous une démultiplication fractale, une suite de Fibonacci. Il a « naturellement » transformé le son en image comme un logiciel le ferait par numérisation. Sans en avoir probablement conscience, il anticipait la révolution numérique capable de « dématérialiser » des sons et de les « rematérialiser » en images.

Les nombres sont les nombres et aujourd’hui toute musique est science-fiction.

Jacques Barbéri
publié dans MCD #70, “Echo / System : musique et création sonore”, mars / mai 2013

(1) Se reporter, entre autres, au dossier Culture rock & science-fiction (revue Bifrost 69, janvier 2013)
(2) Dans la même mouvance (la touche électro-pop en moins), il convient de citer le groupe français Heldon et les albums solo de son leader, Richard Pinhas (à qui on doit un excellent ouvrage sur Deleuze et la musique : Les larmes de Nietzsche), précurseur dans les années 70 d’une musique cyber-électro faisant ouvertement référence à Philip K. Dick, Norman Spinrad ou Michel Jeury.
(3) In Astronomie et musique au siècle des lumières, Dominique Proust.

> English Version

Écrivain et musicien, Jacques Barbéri a notamment publié la trilogie Narcose La Mémoire du Crime, Le tueur venu du Centaure (La Volte), et des recueils de nouvelles, Kosmokrim (Présences du Futur), L’homme qui parlait aux araignées et plus récemment Le Landau du Rat (La Volte). > www.lewub.com/barberi/

Jacques Barbéri fait également partie du groupe Limite, formé au milieu des années 80 avec d’autres écrivains comme Emmanuel Jouanne, Francis Berthelot, Jean-Pierre Vernay et Antoine Volodine, et la volonté d’expérimenter et de transgresser les codes d’écritures et de narration dans la science-fiction (cf. l’anthologie Malgré le monde, Présences du Futur). > www.rumbatraciens.com/limite/mecanique/m002.html

En parallèle, Jacques Barbéri s’illustre (saxophone, électronique, texte) au sein de Palo Alto emmené par Denis Frajerman. Dans la discographie de ce groupe expérimental et atypique, signalons Terminal Sidéral (CD + DVD sur Optical Sound), Cinq Faux Nids Six Faux Nez avec DDAA (Déficit Des Années Antérieures) sur le label Le Cluricaun et, bien sûr, Slowing Apocalypse; un tribute to J.G. Ballard paru aux éditions È®e, où figure Laurent Pernice avec qui Jacques Barbéri a aussi enregistré Drosophiles & Doryphores, un album electronica et mélodique sur le label slovène multimédia rx:tx.

 

journey to the heart of an ocean of sound

Initially, as a particular field in sound production, field recording was the result of a scientific and technological approach aimed at collecting the sounds of the world before becoming an aesthetic and artistic practice that started to use these very sounds as creative material. Over time, both approaches have reintroduced the noises of the world at the centre of creation. The publication of Field Recordings, l’usage sonore du monde (field recordings, the sonic use of the world) by Le Mot et le Reste editions was an opportunity to reflect upon what it has been customary to call (since the birth of Musique Concrete in the 50s, ambient music in the 70’s, hip hop and the appearance of the sampler in the 90s) the « Art of Field Recording ».

The Field Recording practice, as literally “recording in a field » appeared at the end of the 19th century thanks to the implementation of the first operational and portable sound recording devices. The major names in contemporary Field Recording – Chris Watson (former-Cabaret Voltaire), Geir Jenssen (aka Biosphere), the Touch label, Yann Paranthoën, Henri Pousseur, Lionel Marchetti or the late Luc Ferrari – are, and were, the heirs of emblematic pioneers such as Nicolas Bouvier, a Swiss writer, photographer, iconographer and traveller.

Equipped with his antiquated Nagra, one of the first tape recorders invented by Stefan Kudelski, throughout his life Bouvier explored the world’s roads, especially in Iran and Pakistan. He notably recorded Persians and Gypsies instruments and vocals in the Middle East. As such, he belongs to this category of travelling researchers, anthropologists, sociologists, audio-naturalists and ethnomusicologists, scientific and music lovers, who recorded sounds for heritage archiving purposed, forever curious, struggling against oblivion and ignorance.

Some researchers are passionate about the singing of the lyre bird in Australia others about the melodies of the Solomon Islanders, whilst others still are focusing on the noise of the city or the exalted complaints of prisoners from North American jails. From the outset, Field Recording was as extensive operating area which consisted in  rich and varied challenges and purposes. On this subject, the book by Alexander Galand, Field Recordings, l’usage sonore du monde en 100 albums (field recordings, the sonic use of the world through 100 albums), is a well of knowledge. The author – rightly – insists on the  scientific/artistic dichotomy, which turns out to be complementary over time. Comprising a long historiographical essay, three interviews (Jean C. Roché, Bernard Lortat Jacob and Peter Cusack) and a solid discography, this book is a first of his kind in French and an excellent introduction for the amateur wishing to dive into this ocean of sounds.

The technical origins of an art practice

Whether it be sound techniques or studies, collections used as archives or testimony of the anthropological heritage, initially field recording specifically used a scientific approach. In the beginning at least, the practice of field recording involved an important part of research: whether to investigate the nature of sounds, to collect sound curiosities or more specifically to test new techniques and recording equipment. From this point of view, these techniques and their evolution obviously had a lot to do with the birth of an art which was yet to rise at the time.

In 1876 Alexander Graham Bell invented the telephone, managing to transform the sound into an electrical signal. A year later, Thomas Edison was declared to be the « inventor of the phonograph » (although in reality he was just quicker at filing a patent of his in invention than his French competitor Charles Cros). This major invention marked the beginning of an era where reproduction of natural sounds (even as a series) had become possible. The phonograph was the first device to play sounds. Users then spoke into a metal horn, while operating a needle which engraved the pattern of the waves caused thereby onto a rotating cylinder covered with a sheet of tin that could then be payed back. This did not prove very malleable and was quickly replaced by a wax film.

Finally the acetate appeared and was used with the gramophone of Emile Berliner, inventor of the process. Nevertheless, Industrial production was laborious and only truly started in 1889. For his part, the Danish Valdemar Poulsen, following the discoveries of the German Heinrich Hertz on electromagnetic waves in 1887, invented a form of magnetic recording on a flexible wire in 1898. But the German chemical company BASF managed to store sounds on a « wire » recorder from 1930. This technique improved with the advent of the pre-magnetised tape provided by the same company (which incidentally was to be used a lot by the Nazi regime).

From Field Recordings to the soundscape

As we can see, since its inception, the art of Field Recording has relied on the constant technological evolution. The « audio-naturalists, » (name then given to the pioneers who practiced this type of research), could only use the available means, always seeking higher quality, portability and accessibility. This singled out several categories of practices and several approaches within Field Recording.

Some practitioners opted for rough, in situ, audio recordings in nature, choosing not to exclude « parasite sounds » and other natural sounds that surrounded the subject and observer. This is a well known problem faced by lovers of songs and animal sounds, as well as those who record and archive ethnographic sounds (the « natives » of various regions of the world, prisoners’ songs, sailors, bluesmen, folk songs and instruments) or naturalistic sounds.

Such a problem is inherent to the sound environment induces different approaches. Some prefer to isolate the recorded object, which requires access to a studio. This is where electroacoustics and sound processing come in. With the widespread production and reproduction tools (the gramophone, the phonograph and then the tape recorder) came the era of the acoustic, electroacoustic and acousmatic experience. The initial and basic field recording turned into « acoustic ecology », « landscape of sounds », « cinema for the ear » or « microphony », sometimes reproduced and « tweaked » in the studio. With the rise and accessibility of the home studio, these practices started spreading and gaining importance. Technically, everything is good to turn the world into an ocean sounds. The art of Field Recording is a quasi-infinite audio exploration of the world.

Soundind the world

The Field Recording practice really took a different turn in the 50s. In the footsteps of the great discoveries of contemporary music: from Arnold Schoenberg, Alban Berg and Anton Webern’s serialism to Musique Concrète, conceptualised by the French Pierre Schaeffer and electronic music as represented by the German Karlheinz Stockhausen, the approach evolved. In this regard, it is important to note the fundamental theoretical contribution of Pierre Schaeffer and Musique Concrète to the aesthetic and creative evolution and approach taken by Field Recording. If music history is inevitably linked to the history of technology, then Pierre Schaeffer was a true pioneer.

From 1948, the French man founded the Groupe de Recherches de Musique Concrete. It started as a simple radio recording studio but then actively took part in the development of a new form of music: a « concrete » music which he later renamed « electroacoustic » music. Schaeffer was one of the first to dare to master the art of manipulating sounds with the emerging technology of the early tape recorders. After much trial and error, he elaborated a theory that involved challenging the notions of « music », listening, timbre and sound. He wrote these ideas in his Traité des objets musicaux (treatise on musical objects), in 1966. Following the lessons taught in this clear and founding text, composers started to try new experiences.

In the domain of Field Recording another French composer, Luc Ferrari, stood out even more, using the electroacoustic manipulation of sound and recordings and calling it « anecdotal » because their mundane and daily life qualities. With Schaeffer, Ferrari and later other composers like Michel Chion or Lionel Marchetti, it is indeed truly the sounds of the world, of the whole world, urban sounds, domestic sounds, tiny or supposedly « uninteresting » sounds that entered the scope of musical creation.

Field Recording and sample art: an aesthetic (r)evolution

Today more than ever, the Field Recording practice is at the heart of sound creation. From the ambient music invented in the ’70s by Brian Eno to techno and via experimental projects by various artists and musicians from the above-mentioned scenes, the Field Recording practice responds to a multiplicity of genres, approaches and trends. Ambient music, for example, was conceptualised by chance by the British musician Brian Eno when lying in bed he played an LP at the wrong speed.This micro-event was to give him the idea of an « ambient » or “wallpaper” music, which initially did not meet any of the (admittedly very free) requirements of Field Recording. It was techno musicians such as the English of The Orb, or the more industrial Cabaret Voltaire, 23 Skidoo and other bands who blended together relatively slow rhythms with sound recordings, dialogues, sounds of wind and waves for some or urban cacophony and information flows for others.

The emergence of noise in pop music, which dates back to the Beatles and the Beach Boys, became widespread through techno. In the 90s, artists from this scene were inspired both by Schaeffer’s Musique Concrète and urban or natural soundscapes from the ambient music forefathers to create their own sonic universe. This is the case for Geir Jenssen (aka Biosphere) who with a handful of truly unforgettable albums set up the basis for a unique genre, almost single-handedly creating a music school. In addition, former artists from the industrial or techno scenes, such as former-Cabaret Voltaire’s Chris Watson fully embraced this art-form, quickly making a name for themselves in this marginal field. Meanwhile, numerous major artists have tried this genre, providing the listener with pure Field Recordings records as is the case with Moondog, Yann Paranthoën, Jana Winderen or Peter Cusack. They, too, followed the footsteps of great pioneers such as Luc Ferrari, Henri Pousseur, Steve Reich or Alvin Lucier.

From its worldview, its freedom, the multiplicity of its related practices, the ongoing active evolution of means of recording the world around us, exploring « micro” and “infra” sounds, the different goals pursued by artists specialised in it, Field Recording still has a bright future ahead. Like the productions it offers, it continues to be a window looking out onto the world and creation.

Maxence Grugier
published in MCD #70, “Echo / System : music and sound art”, march / may 2013

> Version Française

voyage au cœur d’un océan de sons

Domaine particulier au sein de la production sonore, le field recording fut d’abord le fruit d’une approche scientifique et technique visant à collecter les sons du monde avant d’être une démarche esthétique et artistique usant de ces mêmes sons comme de matériaux créatifs. Au fil du temps, l’une comme l’autre ont remis les bruits du monde au centre de la création. La parution de Field Recordings, l’usage sonore du monde aux éditions Le Mot et le Reste, est l’occasion de se pencher sur ce qu’il est réellement convenu d’appeler — depuis la naissance de la musique concrète dans les années 50, puis de l’ambient dans les 70’s, du hip-hop, et de l’apparition du sampleur dans les années 90 — « l’art du Field Recording ».

La pratique du Field Recording, littéralement « enregistrement de terrain », apparait à la fin du 19ème siècle grâce à la mise en œuvre des premiers moyens opérationnels de captations sonores et d’enregistreurs portables. Les acteurs du Field Recording contemporains — Chris Watson (ex-Cabaret Voltaire), Geir Jenssen (aka Biosphere), le label Touch, Yann Paranthoën, Henri Pousseur, Lionel Marchetti ou feu-Luc Ferrari — sont, et furent, les héritiers de pionniers emblématiques tels que Nicolas Bouvier, écrivain, photographe, iconographe et voyageur suisse.

Équipé de son antique Nagra, un des premiers magnétophones portables inventés par Stefan Kudelski, Bouvier parcours sa vie durant les routes du monde, et particulièrement de l’Iran, du Pakistan. Il y enregistre les instruments et les chants des Persans et des Tziganes du Moyen-Orient. À ce titre, il participe de cette catégorie de chercheurs, anthropologues, sociologues, audio-naturalistes et ethno-musicologues, scientifiques voyageurs et mélomanes, qui captent les sons en vue d’un archivage patrimonial; éternels curieux, luttant contre l’oubli et l’ignorance.

Certains chercheurs se passionnent pour le chant de l’oiseau lyre d’Australie ou les mélodies des habitants des îles Salomon, quand d’autres se penchent sur le bruit de la ville ou les plaintes exaltées des prisonniers des pénitenciers nord-américains. Dés le départ le Field Recording se présente comme un vaste champ opératoire composé d’enjeux et de finalités aussi riches que variés. Sur ce plan, le livre d’Alexandre Galand, Field Recordings, l’usage sonore du monde en 100 albums, est une véritable mine d’enseignement. L’auteur insiste — à raison — sur cette dichotomie, scientifique/artistique, qui s’avère complémentaire au fil du temps. Composé d’un long essai historiographique, de trois interviews (Jean C. Roché, Bernard Lortat-Jacob et Peter Cusack) et d’une solide discographie, cet ouvrage est une première en langue française et une excellente entrée en matière pour l’amateur souhaitant se plonger dans cet océan de sons.

Aux origines techniques d’un art

Qu’il s’agisse de techniques ou d’études sonores, de collectes en vue d’un archivage ou de témoignage anthropologique patrimonial, l’enregistrement de terrain s’inscrit donc au départ dans une démarche spécifiquement scientifique. À ses débuts tout du moins, la pratique de l’enregistrement de terrain est une part importante de la recherche : qu’il s’agisse d’étudier la nature des sons, de capter des curiosités sonores ou plus concrètement de tester les techniques nouvelles et le matériel d’enregistrement. De ce point de vue, ces techniques et leur évolution sont évidemment pour beaucoup dans la naissance d’un art qui est alors encore à venir.

C’est en 1876 qu’Alexander Graham Bell invente le téléphone, réussissant ainsi à transformer le son en signal électrique. Un an après, Thomas Edison est déclaré « inventeur du phonographe » (même si, en vérité, il prit de vitesse le Français Charles Cros en déposant le brevet avant son concurrent). Cette invention majeure marque le début d’une ère où la reproduction du son naturel (et en série) devient possible. Le phonographe fut le premier appareil à reproduire les sons. Les utilisateurs parlaient alors dans une corne en métal, tout en actionnant une aiguille qui gravait le modèle des ondes ainsi provoquées sur un cylindre tournant, recouvert d’une feuille d’étain que l’on pouvait relire ensuite. Celle-ci s’avéra peu malléable et on la remplaça vite par une pellicule de cire.

Enfin vint l’acétate utilisé par le gramophone d’Émile Berliner, inventeur du procédé. La production industrielle fut laborieuse, et elle ne commença vraiment qu’en 1889. De son côté, le Danois Valdemar Poulsen, suivant les découvertes de l’Allemand Heinrich Hertz concernant les ondes électromagnétiques en 1887, invente une forme d’enregistrement magnétique sur fil de fer souple en 1898. Mais se sont les Allemands du groupe chimique BASF qui propose la possibilité de stocker des sons sur un magnétophone « à fil » à partir de  1930. Une technique qui s’améliore avec l’apparition de la bande pré-magnétisée proposée par la même firme (et qui sera beaucoup utilisé par le régime nazi).

De « l’enregistrement de terrain » au paysage de sons

On le voit, depuis son apparition, l’art du Field Recording est tributaire de cette évolution technologique constante. Les « audio-naturalistes », comme on nommait alors les pionniers qui pratiquaient ce type de recherches, sont forcés d’utiliser les moyens mis à leur disposition, cherchant toujours plus de qualité, de portabilité et d’accessibilité. Cela définit plusieurs catégories de pratiques au sein même du Field Recording, plusieurs approches.

Certains pratiquants optent pour les captations sonores brutes, in situ, dans la nature. Un parti-pris qui n’exclut pas les « sons parasites » et autres bruits naturels qui entourent le sujet et son observateur. C’est le problème devant lequel se trouvent les amateurs de chants et bruits d’animaux, ainsi que ceux qui captent et enregistrent dans le domaine ethnographique (des « natives » de diverses régions du monde, aux chants des prisonniers, marins, des bluesmen, des chants et instruments folkloriques) ou naturaliste.

Ce problème inhérent à l’environnement sonore impose différentes démarches. Certains préféreront isoler l’objet de l’enregistrement. Cela nécessite donc l’accès au studio. C’est là qu’interviennent l’électroacoustique et le traitement des sons. Avec la démocratisation des outils de reproduction et de production (gramophone, puis électrophone et magnétophone) vient le temps de l’expérience acoustique, électroacoustique et acousmatique. De simple « enregistrement de terrain », le Field Recording devient « écologie sonore », « paysage de sons », « cinéma pour l’oreille » ou « microphonie », reproduite, voire « trafiquée » en studio. Avec la création et accessibilité du home-studio, ces pratiques prennent de l’importance et se répandent. Techniquement, tout est bon pour transformer le monde en océan de sons. L’art du Field Recording est une exploration sonore du monde quasi-infinie.

La mise en son du monde

C’est véritablement à partir des années 50 que la pratique du Field Recording prend une autre voie. Sur les traces des grandes découvertes de la musique contemporaine : du sérialisme d’Arnold Schönberg, Alban Berg et Anton Webern à la musique concrète, conceptualisé par le Français Pierre Schaeffer, et la musique électronique telle que représentée par l’Allemand Karlheinz Stockhausen, l’approche évolue.

À ce propos, il est important de noter l’apport théorique fondamental de Pierre Schaeffer et de la musique concrète, dans l’évolution et l’approche esthétique, et créative, que va prendre le Field Recording. Si l’histoire de la musique est inévitablement liée à celle de la technologie, alors Pierre Schaeffer fut un véritable pionnier. Dès 1948, le Français fonde le Groupe de Recherches de Musique Concrète. Au début simple studio d’enregistrement radiophonique, il participera ensuite activement au développement d’une nouvelle forme de musique : la musique « concrète » qu’il renommera plus tard musique « électro-acoustique ». Schaeffer fut un des premiers à oser s’illustrer dans l’art de la manipulation des sons grâce à la technologie naissante des premiers enregistreurs à bande. Après bien des tâtonnements, il aboutira à une théorie qui suppose la remise en question des notions de « musique », d’écoute, de timbre, de son. Des idées qu’il mettra noir sur blanc dans son Traité des objets musicaux en 1966. Suivant les leçons dispensées dans ce texte manifeste et fondateur, des compositeurs vont tenter de nouvelles expériences.

Dans le domaine du Field Recording, c’est un autre français, Luc Ferrari, qui s’illustrera plus particulièrement, usant de la manipulation électroacoustique des sons et d’enregistrement nommé « anecdotiques » pour leurs caractères banals et quotidiens. Avec Schaeffer et Ferrari, puis plus tard d’autres compositeurs comme Michel Chion ou Lionel Marchetti, c’est en effet véritablement les sons du monde, de tout le monde, sons urbains, sons domestiques, sons infimes ou censément « inintéressants » qui entre dans le domaine de la création musicale.

Field Recording et art du sample : une (r)évolution esthétique

Aujourd’hui plus que jamais, l’exercice du Field Recording est au cœur de la création sonore. De l’ambient inventée dans les années 70 par Brian Eno à la techno, en passant par les projets expérimentaux de divers artistes et musiciens issus des deux scènes suscitées, l’exercice du Field Recording répond à une multiplicité de genre, de démarche et de tendance. L’ambient, par exemple, fut conceptualisé par le musicien britannique Brian Eno, par hasard, alors qu’alité, il passait un disque 33T à la mauvaise vitesse.

Ce micro-évènement lui donnera l’idée d’une musique « d’ambiance », une musique papier peint, qui, au départ, ne répondait en aucun cas aux exigences (il est vrai très libres) du Field Recording. Ce sont plutôt des musiciens techno comme les Anglais de The Orb, ou encore dans une veine plus industrielle, Cabaret Voltaire, 23 Skidoo et autre qui mélangeront rythmes plus ou moins lents avec des captations sonores, dialogues, bruit du vent et des vagues pour les uns, ou cacophonie urbaine et flux d’information pour les autres.

L’apparition du bruit dans la pop music, qui remonte aux Beatles et au Beach Boys, s’émancipe dans la techno. Dans les années 90, des artistes issues de cette scène s’inspireront à la fois de la musique concrète de Schaeffer et des paysages de sons urbains ou naturels des ancêtres de l’ambient pour créer leur propre univers sonore. C’est le cas de Geir Jenssen (aka Biosphere) qui avec une poignée d’albums inoubliables posera vraiment les bases d’un genre, créant presque une école à lui seul. D’autre, ex-artistes de la scène industrielle ou techno, comme l’ex-Cabaret Voltaire Chris Watson, se lance pleinement dans cet art, se faisant rapidement un nom dans ce domaine à part. Entre temps, de nombreux artistes connus et reconnus se sont essayés à cette pratique, offrant à l’auditeur de purs disques de Field Recordings. Ce sont Moondog, Yann Paranthoën, Jana Winderen ou Peter Cusack. Eux aussi suivent les traces de grands pionniers comme Luc Ferrari, Henri Pousseur, Steve Reich ou Alvin Lucier.

De par sa conception du monde, sa liberté, la multiplicité des pratiques qu’il suppose, l’évolution encore active des moyens de captation du monde qui nous entoure, l’exploration des « micro-sons » et autres « infra », la différence des buts poursuivis par les artistes qui se penchent sur ce domaine, le Field Recording a encore de beaux jours devant lui. À l’image des productions qu’il propose, il est une fenêtre toujours ouverte sur le monde et sur la création.

Maxence Grugier
publié dans MCD #70, “Echo / System : musique et création sonore”, mars / mai 2013

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or how to draw sound lines

Whenever we describe music, outside of its technical aspects, we quickly revert to a physical, geographical, landscape vocabulary. Is strictly musical rhetoric insufficient, or does there exist an intimate relationship between sound and image that makes such comparisons inevitable? Here is a subjective and necessarily incomplete overview of synesthetic musical pieces.

Jean-Michel Rolland, clavecin oculaire numérique conçu d’après les écrits du père Castel de 1735. Photo: D.R.

In February 1809, Ernst Florens Chladni was invited to the Tuileries palace by Napoleon Bonaparte. The German physician and musician came to present to him his extraordinary invention, or rather his discovery, which all the courts in Europe were talking about. Spurred by his curiosity and love for sound, in 1787 this father of modern acoustics had done an experiment in which he sprinkled some sand on a metal plate and rubbed it with a bow. Depending on the location, length and frequency of the resulting sounds, geometric shapes appeared, disappeared and transformed, offering the marvelous spectacle of music becoming lines.

It was no coincidence that this discovery rose to fame at the height of German romanticism, when appreciation for analogies between various resonances of the world was already setting the stage for another movement to appear a good century later: surrealism. At that time, romanticism aimed ideally to synthesize the arts. Meanwhile, shining a light on these intimate relationships between sound and image fit right into the Zeitgeist of the budding 18th century.

More than 150 years later, another scientist, Hans Jenny, expanded on Chladni’s experiments by placing oscillators on quartz sand, as well as on fluids. Jenny described the resulting cymatics—acoustic shapes—as following orderly patterns. Surprising images, reacting immediately to the sound, formed in the powders, but also in water, in alcohol. They could only be referred to, without hyperbole, as sound images.

Henceforth, the correlations between the harmony of sounds and the harmony of lines were scientifically, physically, confirmed. But it didn’t take these two ingenious installations for people to make images from every flutter of sound. Every description of music sooner or later uses a landscape vocabulary. How many skies, waves, sands, branches do we hear in the humming of strings, in the drops of a piano, in the vibrations of a synthesizer, in the friction of metal…

Still others feel this link intimately, and the complicity between image and sound stems from deep within, at the very root of their perceptions. This phenomenon, known as synesthesia, is rare, but some people “see” sounds in certain colors, while others “hear” certain sound frequencies when they see red, blue, green…

Poetry or neurology, the senses concur to entangle seeing and hearing, from Rimbaud (Voyelles) to Kandinsky, from Baudelaire (Correspondances) to Scriabin. This last artist, a Russian composer who dreamed of a great project associating colors and music, reappropriated the ideas of Father Castel, who in the 18th century had designed an “ocular harpsichord” for the deaf, whereby the succession of colors on the eye produced the same effect as musical notes on the ear.

Such audacious attempts, not always successful, were scorned by some, admired by others. Nonetheless, the 20th century witnessed the explosion of technology, just as it welcomed creative works where music merged with other movements well beyond the musician on his instrument.

It was the age of the theremin, named after its inventor. This pioneer instrument of electronic music owed its fame not only to its sounds, or even its technology, but above all to its futuristic mode of “remote” execution, anticipating the remote sensors that surround us today. The theremin player literally manipulates space: he keeps his hand within a few feet of the antenna, which picks up his movements and converts them into sound, controlling the pitch of the note with his right hand, the volume with his left.

The instrument has lived on through the century, and far from being classified as a curiosity of music history, it can still be heard today on albums by Squaremeter, The Damned, Radiohead, Cevin Key (Skinny Puppy)…

Some artists scratch space, while others (finally) make light or colors sing. Such is the case of the laser harp, invented in 1980 by Bernard Szajner. The interrupted light beam determines the pitch. Here again, other musicians, including some very successfully, have reappropriated this synesthetic invention that owes its existence to electronic technology.

From sensors to motion capture, astonishing artworks are expanding the field of musical possibilities. We have only to see the manipulating musicians of Biomuse, led by Atau Tanaka, as they move their arms like conductors of an invisible orchestra to knead a subjugated texture from this ghost ensemble. Biomuse, the fruit of much labor by researchers Hugh Lusted and Benjamin Knapp at BioControl Systems, is a “biomusical” interface that senses electric energy in the forearms and converts its movement and tension into sounds and music.

BioMuse Trio, in which Ben Knapp wears the biosensors, with violonist Gascia Ouzounian and Eric Lyon on laptop, gives an example of the installation’s fantastic dynamic, playing off violin samples captured digitally in almost real-time. Gestures trigger the imagination as if engraving on emptiness. Theremin, laser harp, Biomuse: the avatars of these spatial arm gestures all have the same objective, no matter their degree of sophistication: to transgress a law of physics, where one must touch in order to provoke…

Much more adventurous was the path that extended from Father Castel’s ocular harpsichord, which Scriabin had also explored, which involved positively linking sound to image. From 1937 to 1957, the Russian engineer Evgeny Murzin developed such a device. Not only did he imagine it, he made it. The resulting ANS (in a tribute to Aleksandr Nikolaevich Scriabin) achieved the opposite of the discoveries of Chladni and Jenny—it converted images into sounds. Monumental, rustic and esoteric in appearance, this synthesizer (which Ivan Pavlov of CoH described as a “cross between a time machine from the future and a magic, antique, mysterious engine”) embodied a two-way concept: when played, the ANS could produce drawings and lines corresponding to sound data, like “musical landscapes” painted by the musician; but it could also react musically by synthesizing a sound from its graphical representation. The graphic was drawn on glass plates coated in black resin that were slid into the device, which reacted as programmed with purely synesthetic momentum.

There is only one ANS left today, conserved in Moscow at the Museum of Music, and has long been presented by Stanislas Kreichi, former assistant of Murzin. Little by little, the machine sweeps across the engraved glass plate, instantly converting lines into music, assimilating the stack of prepared drawings to a musical score.

Le synthétiseur ANS conçu par l’ingénieur russe Yevgeny Murzin. Photo: D.R.

In short, thanks to the ANS, shapes “take sound” in the same way that the discoveries of Chladni gave shape to sounds. Artemiev (for the soundtrack to Tarkovski’s Solaris), A. Schnikte, Coil and Cisfinitum have all used ANS sounds that seem to have emerged from the cosmos in the form of an austere chant full of light. The coldness of space, which we admittedly associate with Soviet epics, draws a halo around the delicate humming of the machine, its fragile whistling, and its medium waves.

Indeed, the music of the ANS is astonishing in its process; it is also unheard of (both literally and figuratively) in its texture. The Coil box set of 3 CDs and 1 DVD, which revisits the group’s 2002 experiments with the Russian synthesizer, gives a wide panorama of the machine’s potential.

The ANS made a dream come true: instantly converting drawing into musical vibration. It was a triumph of the romantic spirit, of surrealist audacity over realistic rigidity. Each step of this importance pushes back further the limits of the impossible. Just yesterday, a synesthetic device such as the ANS seemed crazy. Before that, space travel was only a fantasy. We know the giant step that mankind has made since… Space, and why not time? Maybe it’s the next phase. And we can only dream when we consider what Nobel prize-winning physician Georges Charpak very seriously suggested, that the ancient vibration of sounds emitted by a potter of antiquity could have engraved the pot as it spun, like grooves on a record made of wax or vinyl (1). If the future has yet to be written, the past is still overflowing with treasures to decode…

Denis Boyer
published in MCD #70, “Echo / System : music and sound art”, march / may 2013

Denis Boyer is Editor-in-chief of the review Fear Drop > www.feardrop.net

(1) These “paleo-acoustics” (or archeoacoustics) follow the research of Richard Woodbridge, who had done four such experiments in 1969. The first succeeded in transcribing a sound precisely produced by the spin of a potter’s wheel on a piece of pottery. This sound could be reproduced through headphones with the help of a wooden tip and a piezoelectric cell.

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hypnotherapy method…

The presence and continuous development of technology in the music field will not have gone unnoticed, yet one could wonder about the lack of consideration as concerns the impact on contents, i.e. the normative trend induced by the generalisation of the computer tool as a means of production, distribution and listening.

Through the « modelling » phenomenon, this global and deep movement indeed conditions the entire music sector so as to de facto exclude some music. Eventually, with regard to the deployment of new media, the frantic emergence of new products, the fetishism about equipment, etc., one can also question the nature of listening and relating to music …
The vinyl or K7 revivals, as nice as they may occasionally be, are often expressed as a misunderstanding of digital formats (no, the CD is not bad; yes, digital amplifiers are on a par with transistor or tube equipment etc..) whilst they are still being conditioned by the latter, not to mention a form of nostalgia or a fad accompanied by a fantasy of subversion …
If the plurality of modes of production, distribution and listening seem conducive to a diversity of creation (including the auditor’s active involvement), unfortunately, in some respects, it also conceals standardisation phenomena. The audio hardware market is experiencing some effervescence … It may not be customary to pay for acquiring music itself, but it is usual to purchase €300 headphones so as to listen to MP3s…

The technique is the dominant factor in our society, it fundamentally shapes it (even before economics – that guides its applications, enhances some of its effects etc. –  and politics). We are referring to Jacques Ellul on this topic (instead it is usual to observe this kind of influences: economical, political, scientific, cultural). Any technique integrates negative and positive aspects, but in such a way that it makes it hard to separate them.
Faced with the usual arguments of the advent of new audio techniques (the accessibility of production, distribution and, lastly, the works), one should note how the technique does not only induce emancipatory effects. How can we be blind to the fact that technology is also a catalyst for the continuous flow of the global machine in an automatic mode, continuously fed by a succession of interchangeable contenders and their farmed music; obviously sustained by the market and the disguised monopolies of large groups?

Regarding production, unlike what the digital context may suggest, we do argue that setting up « labels » still has some relevance (even more so) today but let us remember that when the profile of such activity (or a publishing house) is akin to craftsmanship, it is not supposed to exist in relation to the established systems. This is an impossible economic model –  if we put a little awareness in the ins and outs – even though one can find tricks, play with constraints, integrate the « crisis » into the project. In this context, the technical facilities have not made the practice more viable (on a global scale), nor do they guarantee a quality of production.
A development which has repeatedly been commented upon involves a single individual, who without leaving home, can consolidate the entire music production chain from composition to the negotiating of rights via the promotional clip and up to public retailing. Faced with the idiocy of majors labels, this easy « all-in-one » solution is obviously attractive (though dominant circuits were quick to adapt and incorporate this aspect), but it can also overshadow the interest in collaborative modes inherent to former processes (sound engineer, producer, arranger, etc.)..

Here, we encounter the human propensity to opt for an easier practice, and the question of creative freedom. If it is possible to overcome the tutelage of a producer or a label, one nevertheless suffer the constraints of a technical (and commercial) system…
Production can be formatted both by the used tools as by the prospect oft the practical distribution. This standardisation – which, of course, may also result from a collective deed – of the project to the limits of a dominant system (excessive compression, etc..) is not necessarily conscious …
It is, of course, out of the question to validate the principle of division of labor whose horrors we know well. Functions should not be closed up – a history of provisions not of assignments. Besides, a single author might impose on himself a division of labor not dedicated to the artistic project… Projects must define the systems and not vice versa – which does not prevent anyone from toying with the established conventions. Cinema is full of examples of producers and writers who have demonstrated skills specific to each other’s field, etc.. As stated elsewhere, what makes art is constantly shifting and is not the sole fact of authors (questions of freedom). It is always enlightening to move between the different levels (author, label, distributor, store …), trying for example to examine the functions of each one in the light of the others (this also applies to other areas).

When it comes to audio media, unlike the dominant ideas, the CD is still the easiest way to listen to properly rendered music. Once again, we encounter the human propensity to search for convenience before the best option, if this was not the case, the MP3 would have been restricted to non-musical uses. If you however wish to use a « dematerialised » file (which always requires a great amount of equipment), a « correct » audio rendering still shows a significant difference with the simplicity and reliability of a CD set up (to near the CD quality, you will be faced with quite a few technical issues), knowing that we must also take into account the cost of HD tracks when cheap CD availability is infinite. This, of course, only applies if you are caring about things like fine orchestral works, etc.. Obviously when it comes to pop music calibrated for the MP3, differences are smaller …
A vinyl / CD quarrel from another era is no longer relevant, and in fact I can not imagine some projects (such as Epplay on our label) or music (such as the skweee) other than on vinyl. However one should avoid comparing the sound of a cheap CD player to an upscale turntable… In many ways the CD has advantages we cannot all list here. For example, for some music, not to hear the surface friction is more important than what vinyl (sometimes deceivingly) provides. Finally, when observing the vinyl trend, one will notice countless new followers who share their disappointment on dedicated forums… Eventually, there is nothing intrinsically wrong with the vinyl and this is just about balancing the debate …

Dematerialisation might seem relevant with regard to arts and music … But something remains physical, a parasite aesthetic, etc.. Some projects rather opt for integrating the physical elements, to toy with them rather than suffer by convention. Therefore no objections should be maintained between the media; we should rather see a range of resources whose specificities it may be interesting to explore and mix to reach various objectives. The contribution of digital tools is undeniable in terms of field for experiments they opened for modes of composition, collaboration, sharing, listening… From a « consumer »‘s point of view, there is also a complementarity between the different proposals for different uses.
To return to the questions of sound reproduction, one can avoid falling into the trap of an elitist delirium – besides the hi-fi has become more accessible and we can enumerate many other unnecessary expenses, destructive ones even, that will end up costing more. On the other hand, numerous music are clearly being distorted by their means of diffusion to the point of losing their interest, their singularity. On occasion, on could also hear a clumsy performance or composition which in fact was caused by a weak rendering of the attacks or fades of the notes…

This is not about asserting how music should be listened to, or fantasise about a piece in its pristine origin, but about noting that this music is often altered without one having the choice or being aware of it: we can choose to read a book by fragments, but no one would accept a book that was distributed with modified vocabulary or missing sentences… However, many items of music only exist though their media. So if the quest for the identical sound from a studio to a listener is unrealistic (and what is more not necessarily desirable), we postulate that there is a decent, but relative, subjective, empirical minimum.
By improving the quality of reproduction we could certainly attract further audiences, the music is primarily a phenomenon of sound and not to properly render its carnal dimension will result in the indifference from the listener. Faced with these sound quality problems, there is also the lo-fi production option, usually a sign of an emergency, an indifference to « clean » sound or a rejection of digital tools, but this posture – bound to generate as much fetishism – does not solve the problem of rendering: are we to listen on a lo-fi or hi-fi system (which perfectly replicates the nature of the project)?

Our listening process is so tied to the technique that we sometimes listen more to the technique than to the music. For instance, in some concerts the amplification power compensates for the poverty of artistic proposal (and/or responds to a dominant/submissive game beyond any musical concerns, unless a reality of the concert, obvious in some cases, is being expressed there). One could see here an unexpected attraction to the noise experienced by transfer… just like a repressed sexual orientation experienced by transfer.
In this sense noise music is a significant link to our world, and though this direct confrontation with the technique, if properly conducted, it constitutes its aesthetic awareness, touching sensitive areas the dominant musical purr cannot fathom… This is the use of technology as a (re)activation of sensitive and mental areas versus the « prothesis » or « atrophy » techniques.

Denis Chevalier
Cofounder and Art Director of PPT et of the Stembogen label
> www.e-ppt.net

published in MCD #70, “Echo / System : music and sound art”, march / may 2013
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méthode d’hypnothérapie…

La présence et le développement incessant de la technique dans le domaine musical n’auront échappé à personne, pourtant on peut s’étonner du manque de considération des conséquences sur les contenus, à savoir la tendance normative induite par la généralisation de l’outil informatique comme moyen de production, de diffusion et d’écoute.

Un mouvement global et profond qui par phénomène de « modélisation » conditionne donc l’ensemble de la filière musicale jusqu’à l’exclusion de facto de certaines musiques. Enfin, au regard du déploiement de nouveaux supports, de l’apparition frénétique de nouveaux produits, du fétichisme du matériel, etc.; on peut se questionner aussi sur la nature de l’écoute et du rapport à la musique…
Les retours du vinyle ou de la K7, aussi sympathiques puissent-ils être parfois, s’expriment souvent dans une méconnaissance du digital (non, le son CD n’est pas mauvais, des amplis numériques rivalisent avec du matériel à transistors ou à tubes, etc.), mais en plus sont eux aussi encore conditionnés par ce dernier; quand il ne s’agit pas de nostalgie ou d’effets de mode accompagnés d’un fantasme de subversion…
Si la pluralité des modes de production, de diffusion et d’écoute paraît favorable à une diversité de création (y compris celle de l’auditeur, sa part active), malheureusement elle dissimule aussi à certains égards ces phénomènes de normalisation. Par contre le marché du matériel audio connaît une certaine effervescence… Il n’est pas forcément naturel de payer pour l’acquisition de musiques, mais il est courant d’acheter des casques à 300€ pour écouter du MP3…

La technique est le facteur dominant de notre société, elle la structure foncièrement (devant l’économique qui en oriente les applications, en accroît certains effets, etc., et le politique). On renverra à Jacques Ellul à ce sujet (il est courant de concevoir plutôt cet ordre d’influences : l’économique, le politique, le scientifique, le culturel). Toute technique inclut du négatif et du positif, mais de sorte qu’il ne soit pas aisé de les séparer.
Face aux arguments habituels de l’apport de nouvelles techniques audio (l’accessibilité de la production, de la diffusion et enfin des œuvres), il convient de relever en quoi la technique n’a pas que des effets émancipateurs. Comment ne pas voir aussi dans la technique un agent catalyseur de ce flux continu de la machine globale en mode automatique, alimentée de façon ininterrompue par une succession de prétendants interchangeables et leurs musiques d’élevage, et entretenue bien sûr par le marché et les monopoles déguisés de grands groupes ?

Concernant la production, contrairement à ce que le cadre numérique peut laisser supposer, on soutiendra que faire des « labels » a encore un intérêt aujourd’hui, voire d’autant plus, mais rappelons qu’une telle activité (ou une maison d’édition) quand elle a un profil « artisanal » ne devrait pas exister au regard des systèmes existants. Modèle économique impossible — si tant est que l’on mette un peu de conscience dans les tenants et aboutissants —, quand bien même on trouve des astuces, joue avec les contraintes, intègre la « crise » au projet. Dans ce contexte, les facilités techniques n’ont pas rendu l’exercice plus viable (globalement), ni ne sont gage de qualité de production.

Évolution maintes fois commentée, une personne seule, sans bouger de chez elle, peut regrouper la chaîne entière d’une production musicale, de la composition à la négociation de droits en passant par le clip promotionnel et la vente au public. Face à la crétinerie des majors, cette facilité du « tout-en-un » est forcément sympathique (cependant les circuits dominants se sont vite adaptés en intégrant aussi cet aspect), mais aussi peut faire oublier l’intérêt des modes collaboratifs inhérents aux anciens processus (ingénieur du son, producteur, arrangeur, etc.).
On rencontre ici la propension humaine au plus pratique, ainsi que la question de la liberté de création. Mais s’il est possible alors de s’affranchir de la tutelle d’un producteur ou d’un label, on ne subit pas moins les contraintes d’un système technique (et commercial)…
La production pourra être formatée par les outils utilisés comme par la perspective de la diffusion pratique. Cette conformation — qui peut certes être aussi le fait d’un collectif — du projet aux limites d’un système dominant (compression excessive, etc.) n’est pas forcément consciente…

Il n’est bien sûr pas question de faire l’apologie du principe de division du travail dont on connaît les horreurs, les fonctions ne doivent pas être étanches — une histoire de dispositions et non d’assignations. Par ailleurs, un auteur seul ne sera pas à l’abri de s’imposer à lui-même une division du travail non dédiée au projet artistique… Les projets doivent définir les systèmes et non l’inverse — ce qui n’empêche pas non plus de jouer avec des conventions en place. Le cinéma abonde d’exemples de producteurs et d’auteurs qui ont fait preuve de compétences propres au champ de l’autre, etc.
Comme énoncé ailleurs, ce qui fait art est en déplacement permanent et n’est pas le fait des seuls auteurs (questions de liberté). Il est toujours instructif de circuler entre les différents niveaux (auteur, label, distributeur, disquaire…), en essayant par exemple de réviser les fonctions de chaque à la lumière des autres (et d’autres domaines d’ailleurs).

Du côté des supports d’écoute, contrairement aux idées dominantes le CD est encore aujourd’hui le moyen le plus simple pour écouter de la musique correctement restituée. On retrouve là aussi la propension humaine à la recherche de praticité avant celle du mieux; si ce n’était pas le cas, le MP3 aurait été limité à des usages non musicaux.
Le « dématérialisé » (qui demande toujours beaucoup de matériel), si toutefois on souhaite une restitution « correcte », accuse encore un écart non négligeable avec la simplicité et la fiabilité d’une installation CD (pour approcher la qualité CD, il faudra se confronter à quelques questions techniques); sachant qu’il faut aussi prendre en compte le coût des œuvres en HD quand par ailleurs l’offre CD à bas prix est infinie. Tout cela bien sûr si l’on est attentif à des choses fines, des œuvres orchestrales, etc. Évidemment avec la pop calibrée pour le MP3 les différences sont moindres…

Une querelle vinyle/CD d’un autre temps n’a plus lieu d’être; d’ailleurs je n’imagine pas certains projets autrement qu’en vinyle (comme ceux de Vincent Epplay sur notre label) ou certaines musiques (le skweee par exemple). Il conviendra par contre de ne pas comparer le son d’un lecteur CD cheap à une platine vinyle haut de gamme… À bien des égards le CD présente des avantages que l’on n’énumèrera pas tous ici. Par exemple, pour certaines musiques, ne pas entendre le frottement de surface importe plus que l’apport (parfois illusoire) du vinyle. Enfin, observant cette vague du vinyle, on ne compte plus les nouveaux adeptes qui sur les forums dédiés font part de leur désappointement… Bon, le vinyle c’est très bien, il s’agit juste ici de réajuster le débat…

La dématérialisation pourrait sembler pertinente pour ce qui concerne la chose artistique et la musique… Mais il y a bien encore du matériel, de l’esthétique parasite, etc. Le parti pris de certains projets est plutôt d’intégrer les éléments matériels, de jouer avec plutôt que de les subir par convention. Il n’y a donc pas d’oppositions à entretenir entre les supports; il faut plutôt voir un panel de moyens aux spécificités qu’il peut être intéressant d’explorer et croiser dans des objectifs forcément différents. L’apport du digital étant indéniable au regard du champ d’expérimentations qu’il a ouvert sur des modes de composition, de collaboration, d’échange, d’écoute… Du point de vue du « consommateur », on verra aussi une complémentarité entre les différentes propositions pour différents usages.

Pour revenir aux questions de restitution sonore, notons qu’il n’est pas inévitable de tomber dans un délire élitiste — d’ailleurs la hi-fi est devenue plus accessible et on pourra énumérer bien d’autres dépenses inutiles, voire destructrices, plus coûteuses au final. Par contre, le fait est que nombreuses musiques sont dénaturées par leur support de diffusion jusqu’à en perdre leur intérêt, leur singularité. Il est arrivé aussi d’entendre une maladresse de jeu ou de composition là où en fait était en cause une faiblesse de restitution sur les attaques ou extinctions de notes…
Il ne s’agit pas non plus de revendiquer la façon dont une musique doit être écoutée, ni de fantasmer l’œuvre dans son origine immaculée, mais de préciser que ces musiques sont altérées sans que souvent l’on ait le choix ni en ait conscience : on peut choisir de lire un livre par fragments, mais personne ne tolèrerait que l’on distribue un ouvrage avec du vocabulaire modifié ou des phrases manquantes… Or nombreuses musiques n’existent que par support. Alors, si la quête d’un son identique du studio à l’auditeur est utopique (et pas nécessairement souhaitable de plus), on postulera qu’il y a un minimum décent, mais relatif, subjectif, empirique.

En faisant un effort sur la qualité de restitution on pourrait certainement amener d’autres publics, la musique est d’abord un phénomène sonore et ne pas restituer suffisamment celui-ci dans sa dimension charnelle entraînera l’indifférence de l’auditeur. Face à ces problématiques de qualité sonore, il y a aussi l’option de la production low-fi, en général signe d’une urgence, d’une indifférence au son « propre » ou d’un rejet du numérique, mais cette posture — d’ailleurs à même de générer autant de fétichisme — ne résout pas la question de la restitution : écouter sur un système low-fi ou sur système hi-fi (qui reproduit parfaitement la nature du projet) ?

Notre écoute est liée à la technique au point de considérer que parfois on écoute plus de la technique que de la musique. Exemple, dans certains concerts la puissance de l’amplification vient compenser la pauvreté de propositions artistiques (et/ou répond à un jeu dominant/soumis loin de questions musicales, à moins que ne s’exprime là une réalité du concert, flagrante dans certains cas) ; on pourrait voir là une attirance insoupçonnée pour le noise vécue par transfert… — comme on parle de tendances sexuelles non assumées vécues par transfert.
En ce sens la musique noise est une relation pertinente à notre monde, et par cette confrontation directe à la technique, si elle est bien menée, en constitue une conscience esthétique, touchant des zones sensibles que le ronronnement musical dominant n’imagine pas… L’usage de la technique comme (ré)activation de zones sensibles et mentales versus la technique « prothèse » ou « atrophie ».

Denis Chevalier
cofondateur et directeur artistique de PPT et du label Stembogen
> www.e-ppt.net

publié dans MCD #70, “Echo / System : musique et création sonore”, mars / mai 2013
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A transversal label

What is the scope of action for a label in the current context where music, is dematerialised but still reified, constantly losing its commercial and aesthetic value in the “mesh of the web”? Pierre Beloüin, Optical Sound’s label-manager, answers to this question, and some others. The label is a structure that goes beyond the framework of music publishing to claim other artistic territories, as its subtitle indicates: records & fine arts.

My initial motivation for creating Optical Sound was to extend what I had already been doing, just like any other music lover, as a teenager, in the form of compilation cassettes: a way of giving a sonic point of view, but this time in a more professional manner, by producing groups, with a real distribution, visual identity and editorial line.
On the other hand, of course, I had in mind great labels that are still models for me, like Touch, 4AD, Mute, Mille Plateaux, Mego, L’invitation au Suicide, Sordide Sentimental, Giorno Poetry System, V.I.S.A, Bondage, Some Bizarre, Factory…  and I’ve left out some of the best!
Another essential motivation was also to link my work as an artist to my passion for music, starting with the first edition of Optical Sound which was created for individual listening (see: OS.000 Programme Radio), but also with one of my installations which was initially presented for my diploma at the Beaux-Arts de Paris and was called Optical Sound.

As far as I am concerned, music has always been intimately linked to visual arts, and I can continue to quote, in a very basic way, Mike Kelley and Sonic Youth, the Velvet Underground and Warhol; there are so many examples… Transversality wasn’t invented in the 1990’s.
These two areas, and many others, have always informed my research, in both directions. It forms a whole with all the cultural domains that drive me; it seems to me essential to have a certain coherence and a line of conduct.
Optical Sound is not a label for just electronic, experimental, alternative, cold wave, rock, dark dub, exotica, concrete or acousmatic music, but rather all of them at the same time, otherwise, what good would it be…
However, Optical Sound is above all a sprawling structure which, as well as physical releases in the form of sound objects, also organises exhibitions, concerts, books and journals, screen prints, DVD’s, iPad applications, performative listening devices, sound architecture, funerary audits, etc.

At the same time Optical Sound has a conservation function with archives (RGB~Transfer, etc.), trace archives (Légion Cérébrale, live act for 23 headphones)… For the RGB~Transfer or Echo Location, it was about paying tribute to my peers, (forefathers) not in a purely nostalgic form, but with a contemporary pendant of auto-reinterpretations for Echo Location: what happens in artists’ creative processes between their early works and their most recent ones? What view do they hold of their own work twenty years on?
For the more than three hours long DVD of RGB~Transfer archives, it was about showing exactly that, despite the lack of broadcasting and audiovisual facilities at that time (1979-1991) a burgeoning and creative French scene was very much present. Paradoxically, one can see that even with all the current available tools, there is a certain creative poverty now…
Concerning the relics and archives of  live shows ( such as the Légion Cérébrale concert for my own exhibition at the FRAC PACA, for example), they are part of the Optical Sound editorial line. I’m not just producing artists’ works, but I also collaborate with them regularly in the creation of tracks for my own work. These productions are autonomous extensions of my exhibition projects, which still exist in a physical form as catalogues, long after the dates of the exhibitions or residencies (see Special Kit produced following my residency in Canada and then at the Villa Arson).

It is often said that Optical Sound only produces visual things because it’s a reference to  cinema. Perhaps but not only: the choice of the name was above all a way of bringing to light all the mental images that are generated by listening to a sound piece.
I hate labelling and constraints: everything pushes people into clearly identifiable boxes, even in artistic fields, when all it takes is to study a content to understand how it works; but what is cruelly missing today is the time to listen, to look, and a return to desire…
The artists produced by Optical Sound are multifaceted – video artists but also musicians, etc. Yet, for a moving visual form, I would rather opt for a return to one-off screenings as part of concerts performed in unusual places, like I have already done so during the Ososphere festival, for example, or will soon do it again with the Fimé in the PACA region.

interviewed by Laurent Diouf
published in MCD #70, “Echo / System : music and sound art”, march / may 2013

Optical Sound > https://optical-sound.com/wp/

> Version Française

un label transversal

Quel est le terrain d’action d’un label dans le contexte actuel où la musique, dématérialisée, mais toujours réifiée, perd sans cesse de sa valeur marchande et esthétique dans « les mailles du réseau » ? C’est à cette question et quelques autres que répond Pierre Beloüin, label-manager d’Optical Sound. Une structure qui déborde du simple cadre de l’édition musicale pour annexer d’autres territoires artistiques, comme l’indique son « sous-titre » : records & fine arts.

Ma motivation initiale pour créer Optical Sound a été de prolonger ce que je faisais déjà, comme tout amateur de musique, en étant adolescent sous la forme de compilation cassettes : une manière de donner un point de vue sonore, mais cette fois sous une forme plus professionnelle en produisant des groupes, avec une réelle diffusion, identité visuelle et ligne éditoriale.
D’autre part, j’avais bien sûr en tête les labels majeurs qui sont toujours des modèles pour moi, tels que : Touch, 4AD, Mute, Mille Plateaux, Mego, L’invitation au Suicide, Sordide Sentimental, Giorno Poetry System, V.I.S.A, Bondage, Some Bizarre, Factory… j’en passe et des meilleurs !
Une de mes principales motivation était aussi de lier mon travail de plasticien à ma passion pour la musique, dès la première édition d’Optical Sound qui était destinée à une écoute individuelle (cf : OS.000 Programme Radio), mais aussi à une de mes installations présentée initialement pour mon diplôme aux Beaux-arts de Paris et portait le nom Optical Sound.

Pour moi la musique a toujours été intimement liée aux Arts Plastiques, et je continue à citer de manière très basique Mike Kelley et Sonic Youth, le Velvet et Warhol; les exemples sont tellement nombreux… La transversalité ne date pas des années 90…
Ces deux domaines (et bien d’autres) ont toujours nourri mes recherches, à double sens. Cela forme un tout avec tous les domaines culturels qui m’animent, il me parait essentiel d’avoir une certaine cohérence et ligne de conduite.
Optical Sound n’est pas un label de musiques électroniques, expérimentales, décalées, cold wave, rock, dark dub, exotica, concrète, acousmatique, mais bien tout cela à la fois, sinon à quoi bon…
Mais Optical Sound est surtout une structure tentaculaire qui, en dehors de sorties physiques sous forme d’objets sonores, organise aussi des expositions, des concerts, de livres et revues, des sérigraphies, des DVD, des applications pour iPad, des dispositifs d’écoutes performatifs, de l’architecture sonore, des audits funéraires, etc.

Par ailleurs, Optical Sound a aussi fonction conservatoire, d’archives (RVB~Transfert, etc.), de trace (Légion Cérébrale, live act for 23 headphones)… Pour RVB~Transfert ou Echo Location, il s’agissait de rendre hommage à mes pairs (pères) non pas sous une forme purement nostalgique, mais aussi avec un pendant contemporain d’auto-réinterprétations pour Echo Location : que se passe-t-il dans le processus créatif d’artistes entre leurs premiers travaux et leurs plus récents ? Quelle vision ont-ils sur leurs propres travaux à vingt ans d’écarts ?
Pour le DVD de plus de trois heures d’archives, RVB~Transfert, il s’agissait de montrer que, malgré le manque de moyens de diffusion et d’outils audiovisuels à l’époque (1979/1991), une scène française bouillonnante et créative était très présente. Paradoxalement on se rend donc compte que tous les outils sont aujourd’hui disponibles et accessibles, mais qu’une pauvreté certaine est au rendez-vous…
Concernant les reliques et archives de lives (comme le concert de Légion Cérébrale pour mon exposition personnelle au FRAC PACA, par exemple), elles font partie de la ligne éditoriale d’Optical Sound. Je ne me contente pas d’éditer les travaux d’artistes, mais je collabore aussi régulièrement avec eux pour la création de bandes sonores liées à mes travaux.
Ces éditions sont des extensions autonomes, des prolongements de mes projets d’expositions, qui existent encore de manière physique comme des catalogues, bien après les dates des dites expositions ou résidences (cf. Special Kit édité suite à ma résidence au Canada puis à la Villa Arson).

On dit souvent Optical Sound édite uniquement des choses visuelles, car c’est une référence au cinéma… Oui, mais pas seulement : le choix du nom était avant tout une manière de mettre en lumière toutes les images mentales générées par une écoute sonore.
Je déteste les étiquettes et les carcans : tout pousse à faire rentrer les gens dans des cases bien lisibles et identifiables, même dans les domaines artistiques, alors qu’il suffit de se pencher un peu sur un contenu pour en comprendre les rouages, mais ce qui manque cruellement aujourd’hui c’est un temps d’écoute, de regard et un retour au désir…
Les artistes édités sur DVD par Optical Sound sont des artistes multiples, vidéastes, mais aussi musiciens, etc. Mais pour une forme visuelle en mouvement, j’envisagerai plutôt un retour à des séances uniques de projections dans le cadre de concerts donnés dans des lieux atypiques, comme je le fais déjà dans le cadre du festival Ososphère par exemple, ou encore dans peu de temps avec le festival Fimé en région PACA.

propos recueillis par Laurent Diouf
publié dans MCD #70, “Echo / System : musique et création sonore”, mars / mai 2013

Optical Sound > https://optical-sound.com/

> English Version

musique et création sonore
mars / mai 2013

> Préambule :

Cela avait commencé par un mail alléchant du rédac chef…

Cela avait commencé par l’envie, farouche, de recontacter quelques otakus…
Des personnes croisées au cours de nombreuses pérégrinations radiophoniques et journalistiques. Des fondu(e)s pour qui la musique, le son et les bruits sont un art de vivre, presque un réflexe identitaire…

L’idée était non pas de parler des derniers courants musicaux, mais bien de digresser sur des pratiques musicales, des modalités et supports de création et de distribution. Le tout hors actualité, hors de tout impératif promotionnel. Ou presque… Et puis, surtout, avec l’envie de regarder un peu dans le rétroviseur à l’heure où tout s’apparente à une fuite en avant dans un présent sans cesse renouvelé; en particulier dans le domaine musical…

L’idée était aussi d’appuyer sur « pause » pour essayer de mesurer le changement survenu depuis ce qu’il est convenu d’appeler « la révolution numérique ». De mettre en perspec-tive le « gap » entre les anciens vecteurs de diffusion (disquaire, radio, magazine, etc.) et les nouveaux facteurs portés par Internet que sont la virtualité (dématérialisation de la musique, etc.) et la mobilité (smartphones, géolocalisation, etc.). De garder notre capacité d’étonnement par rapport à la remodélisation de nos possibilités d’échange et d’expérimentation de la musique, face à la convergence image / son.

L’idée était enfin, dans une sorte de mouvement en spirale qui va du plus près de l’édition (les labels) aux formes les plus éloignées de la composition musicale (field recording), d’impressions fugitives (bootlegs) à des réflexions plus didactiques (cinémix, sons-fixés, etc.), d’évaluer les nouvelles procédures d’écoutes, de traquer d’anciens instruments et technologies précurseurs des musiques électroniques, de s’interroger également sur « le retour du refoulé » — i.e. du son analogique — tout en faisant un peu de prospective autour des balbutiements du « son 3D » qui résonne comme un futur antérieur digne de la science-fiction…

Bien « entendu », ce panorama ne saurait être complet. Et c’est tant mieux, car cela augure d’autres numéros de ce type pour continuer cette cartographie « audio-visuelle » en forme de cabinet de curiosités, où les thématiques ricochent entre elles; à la manière d’une version dub. Oui, il fallait bien que le mot « dub » figure dans ce préambule qui n’en est pas un…

Bonne écoute lecture ;-)

Laurent Diouf – Rédacteur en chef

> Sommaire :
Optical Sound, un label transversal
Entropy Records, l’art du support
monoKraK, l’exemple d’un net-label
Confusion technique
Graphisme
Du disquaire à la vente en ligne
Partage
Web-radios, de l’utopie au streaming
Du fanzine au webzine
Pirates en ligne
Écoutes singulières
Écoute participative
Ciné-concert et cinémixes
Concerts, raves, festivals
Live A/V, son et image
Cyberperformance et géolocalisation
Mobilité et musicalité
Musique pour smartphones et tablettes
Musiques expérimentales et danse
Field recordings
Sons fixés et musiques de montages
Créations sonores
Le synthé analogique à l’ère du numérique
Les nouveaux paradigmes du son 3D
Musique and science
Synesthésies musicales
Musique et science-fiction

> English Version / Version Anglaise